L’entretien du 17 novembre 1982 entre François Mathieu (1898-1993) et Jean Bidault est particulièrement intéressant. Il aborde plusieurs sujets : l’état d’esprit des ouvriers montluçonnais dans l’entre-deux guerres, les conditions de vie des déportés dans les camps nazis, les marches de la mort, le rapatriement et les difficultés du retour à une vie normale.

François Mathieu a déjà 44 ans quand il est arrêté en janvier 1942 lors des rafles anticommunistes. Cet ouvrier aux Hauts Fourneaux, marié, père de trois enfants, est considéré comme individu indésirable. Il connaît plusieurs camps d’internement : Villars, Nexon (Haute-Vienne), Saint-Paul-d’Eyjeaux (Haute-Vienne), Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn).

Le 30 juillet 1944, c’est le départ pour l’Allemagne en passant par Toulouse. Le voyage dure plusieurs jours, dans des conditions atroces. Le 6 août, il arrive à Buchenwald où il reçoit le matricule 69 890. Le 16 septembre 1944, il part pour Witten Annen dans la Ruhr où il travaille dans une fonderie 12 h par jour.

Dans la nuit du 28 au 29 mars 1945, son kommando est évacué en direction du nord-est. « 48 h, à marcher jour et nuit, sans manger, sans rien. Il y avait des carrioles avec toutes les affaires de SS. Il fallait tirer et pousser ces bagnoles. Ceux qui tiraient devant, s’ils n’étaient pas bien costauds, ils tombaient. Et si tu tombais, tu avais une balle dans la nuque. C’était fini. Il ne fallait pas tomber. Il fallait marcher. »

Il est libéré par les Américains dans les environs de Lippstadt, le 1er avril. « Quel beau poisson d’avril ! » Il lui faut attendre le 23 avril pour qu’il soit rapatrié vers la France, en camion, wagon à bestiaux, et pour finir train de voyageurs. Quand il arrive à Montluçon le 27 avril, son état de santé est déficient. Ce n’est que début novembre qu’il peut reprendre son travail à l’usine, et il doit s’arrêter au bout de 15 jours.

Lors de son retour des camps nazis, il a établi un carnet de notes auquel il se réfère lors de son entretien avec Jean Bidault, ce qui lui permet de donner une chronologie exacte des différentes étapes de son trajet.

Sources : entretien avec J. Bidault ; AFMD-03 ; association française Buchenwald Dora et kommandos.